jeudi 9 juin 2011

L'histoire de ma liberté



Pierre et Mary





Mary s’occupe de moi. Elle a 82 ans. On s’est connu à Lucie Bruneau. À cette époque, c’est Pierre Desroches, curé, qui était mon curateur. On était allé à Lucie Bruneau pour m’acheter une chaise roulante électrique et c’est là que j’ai vu Mary pour la première fois.
Pierre m’a rencontré quand j’avais 6 ans, à l’hôpital. Je n’aimais pas ça être là. Il y avait beaucoup de monde. Beaucoup de personnes criaient tout le temps. Je ne faisais rien, c’était plate, je m’ennuyais. J’étais dans une chaise roulante manuelle, j’avais besoin de quelqu’un pour me pousser, je n’étais pas autonome du tout.
La première fois qu’on s’est rencontré, Pierre et moi, il est venu me voir dans ma chambre. Il m’a posé une question : « Veux-tu aller à l’église? » J’ai dit « oui » avec la tête et j’ai fait un son avec ma bouche. Je ne savais même pas c’était quoi une église, mais je voulais y aller pour prier, pour remercier le bon Dieu parce qu’il m’avait écouté le dimanche matin quand je priais, le remercier de m’avoir fait rencontrer Pierre.

***

C’est Pierre qui me fait commencer l’école en 1974. J’aime ça apprendre des choses. Dans la classe, il y a d’autres jeunes enfants handicapés. Le professeur est bon, c’est une femme d’âge moyen.
Pierre m’amène souvent voir Mary à sa maison. Nous faisons aussi un voyage en Gaspésie, avec Michel Périard, de Foi et Partage. Mary vient avec nous.
Pierre m’a sorti de l’hôpital quand j’avais 8 ans, j’ai commencé à rester au Centre Communautaire Radisson. Je reçois ma première chaise roulante électrique, je peux me promener un peu tout seul, je suis plus autonome.
Durant ces années, Mary devient ma curatrice. Pierre, lui, continue à être curé à l’église Saint-Pierre.
Au Manoir de Cartierville, en 1994, il y a beaucoup de monde. 182 résidents. Il faut attendre qu’une place se libère. Je ne peux plus rester au Centre Radisson, parce qu’il ne sera plus un centre pour vivre, il deviendra une école. Je commence à habiter au Manoir Cartierville en 1995, je trouve le personnel bien gentil.





Promenades





Au début, les résidents et le personnel du Manoir ne me connaissent pas. Avec un éducateur, je me promène sur tous les étages, il me présente aux résidents et aux employés. Mon ergothérapeute m’aide pour me déplacer avec ma chaise roulante électrique, c’est lui qui conduit. Quand c’est moi qui conduis, je fonce dans les gens, les murs et les chariots dans le corridor. Je me pratique à me déplacer en ligne droite, toujours à la vitesse 1, jamais en 2, 3 ou 4. Les préposées s’occupent des autres résidents. Moi, je suis tout seul. Le soir, je regarde la télévision. Et Mary, tout les soirs, m’aide à manger mon souper. Les préposées sont très occupées.
Éric Parizeau, un ami, vient aussi m’aider à manger dans ma chambre. Après le souper, Éric joue sur mon ordinateur. Comme activité, on fait des promenades, mais pas toujours. Souvent c’est avec Mary que je me promène. Les préposées finissent par dire "c’est OK", je peux me promener en chaise roulante motorisée dehors tout seul.
Je vais partout autour du manoir, je vends mes cannettes au IGA, il fait beau, c’est l’été. Après ça, on fait des sorties organisées par le manoir, j’ai un accompagnateur mais c’est moi qui conduis autour des autres personnes dans l’activité. C’est trop chaud, alors il y a beaucoup de résidents et de préposés qui restent au Manoir à regarder la télé.
Je commence à aller manger des hot-dogs tout seul au restaurant Tevere, qui se trouve à la Place Versailles. Le gars derrière le comptoir coupe la saucisse en petits morceaux parce que j’ai peur de m’étouffer. Il faut bien mâcher. Un moment donné, je suis tanné de manger toujours la même chose, alors je change. Le restaurant Tevere est reconnu pour sa délicieuse pizza, je commence à en manger. En 2011, j’aime toujours ça.
Après le dîner, je me promène dans le centre d’achats jusqu’à 13h15. Je regarde partout, je vais au magasin de CD et DVD (le HMV) voir quels films il y a, et si le prix est bon, j’en prends un. Des fois je paye avec ma carte débit, d’autres fois je prends mon argent en papier. Les employés qui me connaissent me disent bonjour, je suis un bon client. Je leur demande un titre de CD ou de chanson, ils me montrent c’est où.
Mais parfois, l’employé ne me connaît pas. Il me demande c’est quoi le titre de l’album, en quelle année il est sorti, mais moi j’ai connu le groupe en écoutant la radio. L’employé me parle avec mon tableau de communication, même s’il n’a pas besoin, je ne suis pas sourd ! Mais c’est souvent comme ça avec les gens qui ne me connaissent pas.

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Je vous présente Simon. C’est qui ? Mon accompagnateur. On travaille ensemble depuis 9 mois. Il est bien gentil avec moi. Le mardi et le mercredi toute la journée et le jeudi après-midi, on vient au Centre Radisson, où je suis des cours. On s’amuse beaucoup ensemble. Il fait tout le temps des farces, il fait le clown, et moi je ris.
Le midi, Simon et moi, on se sauve au centre d’achat de la Place Versailles… et moi je me sauve de Simon ! J’aime bien Simon, mais j’aime me promener tout seul. J’aime ma liberté.

mardi 12 avril 2011

Mes deux activités avec Simon


Je suis allé au centre d’achat Place Versailles avec Simon, mon accompagnateur. C’était en novembre, je ne me souviens plus quelle date exactement. Je suis un peu impatient, je n’aime pas attendre, alors à l’heure où je suis supposé rejoindre Simon, je sors du centre d’achat pour aller à la toilette au Centre Radisson. Après, on se retrouve près des portes de la Place Versailles. Au début, c’est Simon qui conduit ma chaise automatisée, il trouve qu’il y a trop de monde. Mais après, c’est moi qui conduis, parce que je suis autonome et habitué. On va chez HMV pour regarder les CD et les DVD. Un employé échappe un paquet de CD. On rit. Pas lui. J’achète le CD de Zamfir, l’homme à la flûte de paon. Pour dîner, on va manger de la pizza à la place Tevere. Il y a beaucoup de monde aux tables. Juste comme on se met à dévorer nos pointes, un monsieur commence à parler à Simon. Il lui serre la main plusieurs fois, il a l’air drogué. Le monsieur veut me donner un camion à peu près gros comme un ballon de soccer, qui a l’air de valoir 100$. Je fais « non » de la tête. Le monsieur est surpris et déçu. Pendant que le monsieur va à la salle de bain, Simon et moi, on se sauve. On va manger à côté de la fontaine, caché par une boutique. Après le dîner, on retourne au HMV. Simon regarde les titres des CD et prend des notes pour écouter de la musique dans notre cours de Pratique Libre à l’ordinateur. Une madame demande à Simon où se trouve un certain album, elle pense qu’il travaille ici. On rit. Elle aussi. Un monsieur demande à Simon où se trouve un certain CD, Simon lui dit qu’il ne travaille pas ici. On ne rit pas. Lui non plus.


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Le 4 janvier 2011, nous sommes allés au cinéma Star Cité Viau pour voir le film l’Appât .Je mange mon lunch : des sandwichs au jambon. Et puis, on achète nos billets. C’est pas cher, 5.50$, on va devenir riche! Pendant que Simon va à la salle de bain, je vois Émilie Pigeon et sa maman. L’Appât : j’ai bien aimé Poirier, le policier joué par Guy Lepage. Et j’ai aussi aimé Rachid dans le rôle du bandit. À la fin du film, Simon se lève et trouve dans sa poche de pantalon un 10$ que je lui avais donné pour acheter les billets et qu’il avait oublié de me redonner. Moi aussi j’avais oublié. On rit. Après, je vais à la toilette, ça sans les pêches. Je fais un pipi aux pêches.Avec l’ordinateur portable de Simon, on va sur le site de Star Cité pour faire une critique de l’Appât. On lui donne un 10.Simon mange des chips laissés sur la table par quelqu’un d’autre. Il manque de salsa, alors il en demande au comptoir, la fille lui en donne.Lors de notre prochaine sortie, on pense aller voir Le Colis, une bonne comédie québécoise.

Stéphane Martin